Développement sensoriel du foetus


Article rédigé par Odile Ménard en juin 2018 à partir d’articles scientifiques sur le développement sensoriel du foetus.

Introduction

Les sens du fœtus se développent tout au long de grossesse selon une séquence temporelle bien définie qui concerne d’abord le système tactile responsable du toucher, puis, peu de temps après, les structures chimio-sensorielles nasales responsables de l’olfaction et orales responsables de la gustation, suivies des structures auditives, et enfin plus tardivement du système visuel (2,3). Deux périodes de transition sont observées dans l’acquisition de la sensorialité. A 28-30 semaines, les réponses sensorielles sont courtes et immédiates et, à 36-40 semaines, elles sont longues et peuvent être amoindries en cas de douleur si le bébé est rassuré (6,8). A 26-28 semaines, l’installation des cycles de sommeil permet le développement de la sensorialité du fœtus et ainsi le maintient de la plasticité cérébrale et la construction de sa mémoire à long terme (6). Les capacités sensorielles du fœtus et ses états de veille / sommeil sont les mêmes immédiatement avant et après la naissance (8).

Le toucher

Le toucher concerne toute réaction provoquée par un contact avec la peau. La peau du fœtus est pourvue d’un grand nombre de récepteurs sensoriels sensibles à la température ou à une pression, et est à l’origine de ses premiers contacts avec ce qui l’entoure. Le nombre de récepteurs tactiles croît au cours de la gestation, se stabilise puis diminue lorsque le bébé n’a plus assez de place pour bouger (3). Le toucher est un des sens les plus rapidement acquis. Le fœtus est sensible à l’affleurement autour de la bouche dès 7 semaines, au niveau des mains dès 10 semaines et au niveau de tout le corps dès 20 semaines. A 24 semaines, les empreintes digitales se forment. A 22-24 semaines, les cellules vibro-tactiles sont matures et recouvrent tout le corps (9). Ainsi à 25 semaines, un prématuré est réactif à toutes sortes de stimulations tactiles (6). A 26 semaines, 30% des fœtus répondent par un mouvement immédiat aux stimuli vibro-acoustiques et à 37 semaines : 95% (8). Vers 34 semaines, la réponse au froid d’un prématuré ne diffère pas de celle d’un nouveau-né à terme (4).

L’échographie permet aussi d’observer qu’une pression sur l’abdomen, les mouvements de la mère ou ceux d’un éventuel jumeau, comme aussi certaines contractions utérines, peuvent engendrer des réponses motrices du fœtus ce qui permet la mise en place de la coordination des mouvements et de leur organisation en séquences (3,4). La sensibilité tactile est indispensable au développement harmonieux du système moteur car si un membre est immobilisé, accidentellement ou expérimentalement, sa croissance en est fortement altérée et peut même rendre son fonctionnement ultérieur impossible (3). Dès 30 semaines de grossesse, des pressions manuelles soutenues et localisées induisent des modifications du rythme cardiaque et les pressions rythmées sont plus réactogènes qu’une pression soutenue de même durée (4). Ainsi, chaque mouvement de la mère aussi bien moteur que respiratoire, chaque caresse sera alors un moyen de communiquer avec le fœtus. Massé en permanence par la poche des eaux, le bébé sera très réceptif au niveau cutané.

L’odorat et le goût

L’acquisition de l’odorat et du goût passe par le liquide amniotique dont la signature aromatique correspond à celle du lait maternel et varie selon l’alimentation de la mère (2,9). En fin de grossesse, la quantité de composés odorants et sapides présents dans le liquide amniotique peut être augmentée par l’accroissement de la perméabilité placentaire (4). Les délais de transfert de ces composés sont rapides (4). Les organes responsables de la réception chimio-olfactive sont l’épithélium olfactif tapissant les fosses nasales, l’organe voméro-nasal qui régresse en grande partie après la naissance et la langue, porteuse des bourgeons gustatifs discriminant les 4 saveurs élémentaires (sucré, salé, acide et amer) (2,3).

Dès le 3ème mois de grossesse, le goût se met en place avec l’apparition des premières papilles gustatives et finit son développement à 18 semaines (2). Entre 4 et 6 mois, le fœtus déglutit plus souvent si le liquide amniotique est plus sucré, alors que le salé ne provoque pas de réaction. Bien connue chez le nouveau-né, la préférence pour le sucré est donc déjà présente chez le fœtus (3). Quant à l’épithélium olfactif, il se met en place plus tardivement à 5 semaines. Dès 6 mois, les enfants nés prématurément sont sensibles à des stimuli odorants et tous les fœtus sont capables de discriminer différentes odeurs au cours du 9ème mois de grossesse (3,4,10) et montrer le plaisir ou le dégoût (1). Les odeurs et les saveurs des aliments odorants ingérés par la mère sont non seulement détectées mais aussi mémorisées par le fœtus, et conditionnent les préférences olfactivo-gustatives observées chez le bébé après la naissance (2) qui pourraient se prolonger jusqu’à l’âge adulte mais n’ont été expérimentalement démontrées que jusqu’à l’âge de 4 ans (3). Plus particulièrement, les nourrissons exposés à la carotte durant la grossesse et/ou l’allaitement montrent moins d’expressions de dégout quand ils mangent des céréales à la carotte que des céréales nature alors qu’il n’y a aucune différences chez ceux qui n’ont pas été exposés à la carotte (9). De même, les nouveau-nés exposés à l’anis pendant la grossesse expriment une préférence pour cette odeur à 4 jours de vie (10). Ainsi, contrairement à certaines croyances populaires qui interdisaient aux femmes enceintes l’ingestion de certains aliments, sous prétexte qu’ils donnaient trop de goût au lait et risquaient alors d’être rejeté par le bébé, le bébé préfère ce qu’il reconnaît. Pour favoriser les préférences alimentaires de son enfant dans le bon sens, la mère devrait donc manger le plus varié et sainement possible pendant sa grossesse puis son allaitement (1). Un allaitement exclusif supérieur ou égal à 3 mois et une diversification alimentaire à plus de 4 mois induit une consommation moindre de produits industrialisés par les enfants de 6 ans (1).

A la naissance, le bébé sera donc capable de reconnaitre l’odeur de son liquide amniotique (4), du lait de sa mère, de distinguer et de reconnaitre l’odeur de sa mère parmi plusieurs, et de percevoir les odeurs qui entourent sa mère, notamment celle du père et des enfants de la famille. Il peut montrer une attirance vers les odeurs des aliments que sa mère avait l’habitude de consommer (4). Le peau à peau est conseillé dès la naissance avec sa mère et, si certaines femmes ne peuvent pas dès la naissance notamment en cas de césarienne, avec son père.

A 3 mois ½ de grossesse, l’ouïe se développe avec la mise en place du corti, organe de l’oreille interne (2,5). A 6 mois, les cellules ciliées du corti vont maturer et l’aire auditive temporale gauche va se myéliniser (2). Les premières réponses à des stimuli auditifs ont été repérées à 15 semaines (6) et vers 25-27 semaines ses réponses motrices et cardiaques sont nettes (5,8). Ces stimuli sont nécessaires au développement des capacités auditives du fœtus (5). Le fœtus s’habitue à des sons, même de forte intensité, à condition que sa mère n’en soit pas elle-même affectée (2,4). Les décélérations cardiaques induites par des sons de parole, de musique ou des bruits montrent la capacité du fœtus à discriminer les sons (8). Lorsqu’il s’agit de parole, le fœtus est capable de différencier deux syllabes, phrases, locuteurs, langues, comptines ou morceaux musicaux (4). Ces capacités discriminatives révèlent un fonctionnement auditif efficace qui continuera de s’affiner durant les premières années post-natales (2). Des phénomènes d’habituation et donc d’attention sélective et de mémoire à court terme ont été mis en évidence et peuvent être considérés comme des apprentissages élémentaires (8). En l’absence de voix humaine un fœtus arrive avec 2 mois de retard au niveau langagier (5). Le nouveau-né, lui, peut indiquer des préférences : entendre un son plutôt que le silence, la voix de sa mère plutôt que d’autres voix, la langue parlée par sa mère par rapport à d’autres langues, une histoire ou chansons connues plutôt qu’une nouvelle. Il discrimine les différents sons perçus in utero, mais aussi qu’il les reconnaît comme semblables à ceux qu’il entend depuis sa naissance. Ainsi, le fœtus mémorise et s’habitue aux sons les plus familiers qu’il préfère entendre après sa naissance (3,8).

La vue

La vue est le sens le moins développé chez le nouveau-né (4). Dès 4 mois, le fœtus commence à ouvrir ses paupières mais ne voit pas. A 23 semaines dans le 7ème mois, une illumination brusque de l’abdomen maternel provoque une réaction cardiaque (2). Le fœtus est donc sensible aux variations d’intensité lumineuse même atténuées par la paroi abdominale. A 26-28 semaines tous les types de récepteurs sont présents mais immatures (4). Le réflexe pupillaire, qui permet de réguler l’intensité lumineuse dont l’excès peut léser la rétine, se développe vers 30 semaines et n’est stable qu’à partir de 34 semaines. A la naissance, bébé ne verra qu’à 30-40 centimètres, plus particulièrement le blanc, le noir et le rouge (2). Il est vite agressé par une luminosité trop importante car a toujours été protégé dans le ventre de sa mère, ce qui est encore plus vrai chez le prématuré. Ainsi son rythme cardiaque accélère et ses mouvements s’amplifient (4). Avant sa naissance, le fœtus n’a pas besoin de stimulation visuelle externe ou de lumière (7). L’élément critique dans le développement du système visuel est la protection des cycles de sommeil du fœtus et de la phase de sommeil pendant laquelle il y a des mouvements rapides des yeux (7). Les stimulations visuelles externes sont indispensables au processus visuel qui se déclenche à la naissance et se poursuit au cours des 5 premières années (2). Si cette naissance est prématurée, il est essentiel d’assurer au bébé un environnement visuel adapté et structuré et donc de le stimuler sans excès par des objets structurés et en mouvement, notamment le visage de sa mère (2). Ainsi, la vision est un des sens à surveiller en particulier dès la naissance, prématurée ou non, en raison de la fragilité de l’organe en développement et de la plasticité des cellules du système visuel qui vont s’adapter aux divers types de stimuli reçus (2). Contrairement aux régions ou les femmes vivent nues, chez les femmes portant des vêtements, dans la pénombre utérine, la stimulation visuelle est réduite (2). Le rythme circadien ne s’établit donc qu’après la naissance. Globalement, la perception et la reconnaissance des rythmes est mémorisée par le fœtus, qu’ils soient sonores, moteurs (rythme de la marche maternelle), tactiles (caresses), olfactifs ou gustatifs (habitudes alimentaires) et même visuels (alternance circadienne si la mère est dévêtue). Ces perceptions influencent les préférences post-natales du bébé, le préparant à reconnaître son environnement et à s’y adapter et à construire sa vie affective (2).

Conclusion

Le fœtus, comme le bébé et l’adulte, baigne dans un milieu physique complexe où les stimuli s’adressent à plusieurs sens, se mélangent ou se superposent (3). Certains organes sensoriels ne se développent que s’ils sont stimulés par différentes voies sensorielles comme l’appareil vestibulaire qui commence à fonctionner à 25 semaines d’où l’importance des balancements surtout avant arrière réactogènes vers 31 semaines (4). Le nouveau-né, et plus encore le fœtus, aurait un seuil intégratif global peu élevé, et que ce seuil inclut l’ensemble des perceptions sensorielles. Chaque modalité sensorielle interagit avec les autres et si l’une reçoit un stimulus très intense, la capacité globale à intégrer les autres se réduit (3). Ainsi, grâce au développement de son système sensoriel, dès la naissance, le nouveau-né est capable de discriminer l’expression de certaines émotions et de développer une relation affective avec les êtres assurant sa survie (3). Même un fœtus de 34-36 semaines peut distinguer par sa mémoire à long terme les humeurs et émotions ressortant des paroles ou musiques entendues (4). Son premier contact sensoriel avec l’extérieur est ainsi le moment privilégié pendant lequel se construit un attachement harmonieux : le premier regard qu’il pourra échanger, la première odeur qu’il va sentir, le premier contact corporel (3). Cette sensation va s’imprimer avec l’intensité unique de « chaque première fois » pour le bébé comme pour la mère.

Bibliographie

1- Bielemann R., Pozza Santos L., Dos Santos Costa C., Matijasevich A., Santos I., Early feeding practices and consumption of ultraprocessed foods at 6 y of age: Findings from the 2004 Pelotas (Brazil) Birth Cohort Study. Nutrition, 2018; 47: 27–32.

2- Browne J.V., Chemosensory Development in the Fetus and Newborn. Newborn & infant nursing reviews, 2008, 8(4): 180-186.

3- Busnel M.-C., Héron A., Le développement de la sensorialité. Article publié dans LA NAISSANCE : histoire, cultures et pratiques d’aujourd’hui. R. Frydman & M. Szejer, Albin Michel, 2010: 633-643.

4- Granier-Deferre C., Schaal B., Aux sources fœtales des réponses sensorielles et émotionnelles du nouveau-né. Spirale, 20051; 33: 21-40.

5- Graven S. N., Browne J. V., Auditory Development in the Fetus and Infant. Newborn & infant nursing reviews, 2008, 8(4): 187-193.

6- Graven S. N., Browne J. V., Sleep and Brain Development. The Critical Role of Sleep in Fetal and Early Neonatal Brain Development. Newborn & infant nursing reviews, 2008, 8(4): 173-179.

7- Graven S. N., Browne J. V., Visual Development in the Human Fetus, Infant, and Young Child. Newborn & infant nursing reviews, 2008, 8(4): 194-201.

8- Kisilevsky B., Lecanuet J.P., Les connaissances sur l’enfant prématuré bénéficient-elles des recherches sur le fœtus ? Enfance. 1999 ; 1: 13-25.

9- Mennella J. A., Jagnow C. P., Beauchamp G. K. Prenatal and Postnatal Flavor Learning by Human Infants. Pediatrics. 2001; 107(6): E88.

10- Schaal B., Marlier L., Soussignan R., Human Foetuses learn odours from their pregnant mother’s diet. Chem. Senses, 2000; 25: 729-737.

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